Un chant de pierre d'Iain Banks


"L’hiver a toujours été ma saison favorite. Sommes-nous déjà en hiver ? Je ne sais pas. Il existe une définition technique qui repose sur les calendriers et la position du soleil, mais je crois que lorsque les saisons s’écoulent et changent inexorablement, on s’en rend compte, tout simplement ; je crois que l’animal en nous perçoit l’odeur de l’hiver."


Les premières phrases d'Un chant de pierre, un roman de Iain Banks qui date déjà de presque vingt ans mais qui n'a été traduit en français que récemment par Anne-Sylvie Homassel pour les éditions de L'Œil d'or (dans une édition par ailleurs magnifiquement illustrée par des gravures de Frédéric Coché), peuvent être lues comme une déclaration d'intention. Le cadre de l'intrigue ne sera jamais nommé, jamais situé spatialement et temporellement, et ses descriptions reposeront d'abord sur des effets d'évocations.
Le narrateur est un châtelain fuyant sa demeure en calèche. Son titre de noblesse ainsi que la préciosité de son langage et de ses manières évoquent le moyen-âge mais son véhicule est vite rattrapé par les camions d'une bande de militaires armés de fusils et qui vont l'emprisonner dans son propre château avec son compagne. Il s'agit là d'un acte d'une guerre dont les enjeux resteront inconnus au lecteur. Sans doute le conflit rappelait-il celui des Balkans au lecteur qui découvrait le texte lors de sa première parution.
Cette guerre sans objet apparait donc comme absurde mais doublement terrifiante. Dégagées de toutes considérations tactiques, les actions des soldats ne semblent mues que par un instinct de cruauté. Court roman d'à peine plus de 200 pages, Un chant de pierre se focalise sur l'affrontement entre le couple de châtelains et leur geôlière, le Lieutenant qui dirige la troupe et qui va peu à peu chercher à les humilier.
En arrière plan de l'intrigue les combats font rage et la troupe va essuyer de lourdes pertes humaines. Rapidement le narrateur nous fait part de sa certitude quand à la mort prochaine, inévitable, de l'ensemble des hommes qui le retiennent enfermé. Cette confidence funeste vient transformer la perception qu'à le lecteur des soldats, ces derniers deviennent des morts en sursis et le château semble bientôt n'être peuplé que de spectres, de vivants morts.

Le lecteur est introduit dans l'intrigue par un effet littéraire astucieux : le narrateur s'adresse systématique à sa compagne qui apparait comme particulièrement taiseuse sous sa plume. Identifié à ce personnage passif, faible et qui semble ne faire que subir les conséquences de l'affrontement avec le Lieutenant, affrontement dont elle est en partie l'enjeu, le lecteur observe impuissant le déroulement de l'intrigue qui s'enfonce peu à peu dans l'horreur.
Un chant de pierre est un roman constamment sur la corde raide qui emprunte le sadisme élégant du roman gothique, évoque l'affrontement à mort du La Chair et le Sang de Verhoeven et impressionne son lecteur autant qu'il le déstabilise par sa description radicale des horreurs de la guerre. Une très bonne découverte.

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